Safia Nolin se voit comme un être politique en soi, de par les combats qu’elle mène, les sujets qu’elle aborde et l’apparence qu’elle présente. Perçue elle-même comme difforme de par sa condition de femme racisée ouvertement lesbienne qui ne répond pas aux schémas dits féminins inculqués depuis des siècles, elle préfère épouser cette image dissonante, plutôt que de répondre à ce qu’elle n’est pas en s’adaptant aux idéaux néfastes. C’est en cela que Seum est une œuvre accomplie qui définit sa créatrice entièrement. Safia Nolin est une artiste et une personne dont les peaux mortes de tristesse sont en train de muer et qui célèbre cette transition avec ce qu’elle sait faire de mieux : magnifier les douleurs.
Pendant les interludes d’accordage de guitare, Safia Nolin raconte sur scène sa journée au public avec beaucoup d’humour, avant de présenter la prochaine chanson comme plus déprimante encore que la précédente. Le premier album de l’artiste, Limoilou (2015), et son deuxième, Dans le noir (2018), le présageaient : l’EP Seum qu’a sorti Safia Nolin en 2021 n’annonçait rien d’heureux. Cependant, comme toute œuvre musicale bâtie dans la douleur, Seum est un disque qui ferme des portes et qui domestique les démons. Si Safia revient sur la confection des huit titres qui composent cet EP en se rappelant un fort sentiment d’injustice, c’est désormais apaisée qu’elle le défend sur les scènes québécoise et française.
Pour son dernier single en date, la triste ballade anglophone « Carrie », la direction artistique est assurée par Safia elle-même. Déjà autrice-compositrice et interprète, l’artiste fait aussi le choix du DIY le plus total en confectionnant les visuels qui habillent sa musique.
Plus encore, dernièrement, elle s’est établie en pleine indépendance dans son œuvre, s’affranchissant d’un quelconque label. Jamais mieux accompagnée que par elle-même dans ce nouveau chemin qu’elle trace en solitaire, c’est dehors qu’elle enregistre la majorité des quatre titres de Seum, chacun dans une version mélancolique sunrise, et dans une version plus optimiste, intitulée sunset.
À ces matières douces de la voix et rêches des sentiments, s’ajoute celle qu’elle manie au crochet depuis plus d’un an. Au-delà d’un passe-temps, le crochet permet à Safia d’exprimer une fois encore sa dualité, entre sa personnalité bienveillante et enjouée, et sa peine profonde qu’elle exorcise en musique. Les couleurs explosives et excentriques qu’affichent les pièces qu’elle confectionne (bonnets, pulls, guêtres, etc.) contrastent avec les quelques trous et les longs fils qu’elle laisse pendre, fidèle à son idéal de difformité.
Rêver de sa propre mort peut effrayer au premier abord, mais il s’avère que cela signifie l’adieu à une part de soi, comme l’esprit qui se rend compte qu’il tourne une page de vie. Peut-être les chansons de Safia Nolin arborent-elles des thèmes et des couleurs sombres, mais c’est en enterrant une ancienne part d’elle-même, comme l’indique la tombe sur la pochette de son dernier EP, qu’elle délivre une œuvre authentique avec une pop qui lui est si particulière. Volontairement crade et tonitruant, le son de sa guitare accompagne la voix quiète et claire de Safia. Accompagnée d’Agathe Dupere (basse), Marc-André Labelle (guitare) et Jean-Philippe Levac (batterie), l’artiste met en forme ce en quoi elle se retrouve le plus : l’imperfection de l’immédiat, en ne lissant rien.
Ce puissant spectacle pour une chanteuse et des choristes est créé à partir des commentaires haineux qui ne cessent de déferler à l’endroit de Safia Nolin. Dans le miroir n’apparaît pas que l’image d’une…