Pour Yao, le parfait équilibre entre sa carrière d’auteur-compositeur-interprète et celle d’artiste-éducateur est atteint. Surtout connu du grand public comme rappeur et slameur, le chanteur d’Ottawa aux origines togolaises et ivoiriennes donne depuis une douzaine d’années des ateliers d’écriture à des élèves du secondaire. Deux activités indissociables pour cet amoureux des mots et passionné de musique qui compte quatre albums solo, dont Kintsugi paru au printemps 2022.
Malgré une carrière artistique bien établie, et plusieurs prix, Yao trouve dans ses ateliers d’écriture une raison d’être et une façon de redonner à la communauté. Dans un long entretien avec le Centre national des Arts (CNA), il a parlé de son parcours et de son désir de partager avec les jeunes.
Ça fait plusieurs années que vous donnez des ateliers-écriture en français. Comment est né votre amour pour l’écriture?
Élève, j’ai eu la chance d’assister à un atelier de hip-hop/rap. Même si je n’étais pas intéressé, deux choses se sont passées pendant cet atelier. L’éducateur nous a d’abord demandé de choisir un mot par page dans un magazine et de composer une phrase. J’ai écrit : « L’art incite notre âme à se parler ». Je n’avais aucune idée de l’impact que l’art aurait dans ma vie, mais je savais déjà que l’art était pour moi un exutoire. Ensuite, j’ai écrit un poème sur mon désir d’appartenance à cette nouvelle culture que je venais d’intégrer. J’ai lu mon rap devant la classe, devant l’école, et puis devant le conseil scolaire. Et soudainement, je me suis découvert une identité. Dans la cour de récré, je n’étais plus un nouvel arrivant, j’étais le gars qui fait du rap.
Comment avez-vous construit ces ateliers?
Grâce à une subvention du Conseil des Arts de l'Ontario – artistes en milieu communautaire et scolaire – j'ai pu construire un atelier. J’ai surtout travaillé avec des élèves de la 9e à la 12e année. Donc, l’atelier prend en considération la manière dont les jeunes apprennent et la façon de relier un sujet aussi vague que l’écriture, la poésie ou la création littéraire à quelque chose qui pourrait les interpeller. La musique, c’est bon pour ça.
Depuis combien de temps collaborez-vous avec le CNA et Arts Vivants?
Depuis 2016 avec le projet I Love to Jam à travers le programme Music Mondays. J’ai donné des ateliers dans deux écoles francophones et deux anglophones. Les textes des jeunes avaient été mis en musique et présentés dans le cadre d’un concert avec l’orchestre du CNA sous la direction d’Alexander Shelley.
Vous êtes aujourd’hui un artiste bien établi, pourquoi cumuler encore les deux rôles?
Ils sont complémentaires! J’aime beaucoup être artiste-éducateur parce que je peux amener le sujet autrement. Mon expérience du terrain me permet d’appuyer mon propos avec du vécu. Et puis, quand je lis le texte des élèves à la fin de l’atelier, ou encore quand je reçois leurs messages ou ceux des parents, ça me motive encore plus. Ils ont tellement de choses à dire, on a juste besoin de leur donner un médium pour le faire. De voir la confiance qu’ils développent, ça me fait du bien à l’âme. Je ne peux pas ne pas en faire, ça me donne une raison d’être!
Entre vos ateliers et vos spectacles, vous avez maintenant parcouru le Canada d’un océan à l’autre...
Et ce sont des milliers de jeunes avec qui j’ai la chance d’interagir chaque année! Je donne plus d’une centaine d’ateliers par année, si ce n’est pas plus. Seulement entre février et mars, il y en a 32. J’ai fait des ateliers dans presque toutes les provinces, même au Nunavut. En mai, je serai au Yukon. Alors, il ne me restera que Terre-Neuve-et-Labrador. En fait, partout où je vais en spectacle, je donne des ateliers, comme en Tunisie, en Algérie, à Madagascar ou encore au Maroc.
Ces ateliers sont bénéfiques pour les élèves. Mais comme artiste, qu’en tirez-vous?
Le sentiment de redonner à la communauté qui m’a tant donné! Si j’ai la vie que j’ai, c’est grâce à ce parcours qui a commencé dans une salle de classe. À la fin d’un atelier, je me dis qu’on a vécu quelque chose ensemble qui nous a fait du bien.
D’un côté plus pragmatique, je me suis aussi rendu compte que c’est un bon outil pour me faire connaître autrement. Combien d’entre eux ont, après l’atelier, commencé à me suivre sur les réseaux sociaux, à m’écrire ou à venir à mes spectacles?
Quel est le but de ces ateliers d’écriture?
La construction identitaire, mais aussi l’appréciation de la langue française, surtout dans nos communautés où la langue est en situation minoritaire. C’est l’occasion de rappeler que la musique francophone n’est pas un style, qu’il y a du bon « stock » en français.