≈ 1 hour and 35 minutes · No intermission
Last updated: February 28, 2022
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Dans le faisceau d’une lampe de poche qui perce la nuit, un livre d’estampes japonaises s’ouvre sur un dessin de paysage. Léone, deux ans et demi, montre un point à peine perceptible dans le ciel bleu du dessin. Regarde, dit-elle, on dirait une petite fleur japonaise qui n’est pas encore née.
Que discerne-t-elle, au-delà du dessin visible sur la page?
En 2018, j’ai eu l’occasion de visiter une exposition au Tokyo Mori Art Museum intitulée Catastrophe and the Power of Art. On y présentait des œuvres inspirées des tragédies indicibles qui ont secoué le Japon tout au long de son histoire et de la résilience du peuple japonais face à ces calamités.
À la même époque, des corps étaient retrouvés dans les décombres de deux bâtiments délabrés, propriétés de seigneurs des taudis, qui se sont effondrés sur la rue d’Aubagne, au centre de Marseille, faisant écho aux tragédies dépeintes dans les œuvres de l’exposition japonaise. Ces catastrophes et ces destructions, provoquées par la nature en colère et par la cupidité humaine, m’ont amenée à approfondir ma réflexion.
En ces temps incertains, l’art est plus que jamais moyen de résistance à la brutalité sous toutes ses formes, dont le grondement sourd se fait entendre partout. Cette pièce est le fruit de l’imagination combinée et des échanges des artistes invités à collaborer à cette création à mon invitation et celle de la compagnie Infrarouge.
Violence est l’aboutissement d’une aventure qui a débuté à Montréal et à Marseille, puis nous a conduit à Göteborg via Vitlycke, dans la campagne suédoise. Plus récemment, contre vents et marées, en plein cœur de la tornade de la COVID qui nous empêchait de nous réunir dans la réalité comme nous l’aurions souhaité, nous nous sommes retrouvés virtuellement à Tokyo, puis à Kinosaki et à Takeno, sur les rives de la splendide mer du Japon.
C’est par toutes sortes de manières, plans et stratagèmes technologiques que nous avons pu continuer à créer cet objet à distance. Des artistes et techniciens du Québec, du Japon, de la Finlande, de la France et du Brésil ont conjugué leurs efforts afin que l’œuvre puisse naître dans la réalité.
S’inspirant de la barbarie ambiante et du mal de vivre qui en découle, Violence est un conte surréel, un mélange d’art visuel et sonore, de réalisme cinématographique et de théâtre expressionniste, qui plonge au cœur de la psyché humaine. Hommage à l’imagination et à la vision d’une enfant, en laquelle chacun de nous peut se reconnaître.
En septembre 2021, nous avons présenté le spectacle à Athènes, dans le contexte du Athens & Epidaurus Festival. Nous préparons maintenant une tournée qui nous mènera au Canada, aux États-Unis puis en Europe, et notre désir est de le présenter au Japon, lorsque la tempête provoquée par la pandémie se sera calmée.
Le spectacle a été créé le 27 mai 2021 au Festival TransAmériques, à Montréal.
Le temps des cerises
Jean Baptiste Clément + Antoine Renard
Rain and Tears
Evangelos Papathanassiou + Boris Bergman
Kaimonobugi
Écrite par Masawo Murasame et Ryouichi Hattori
Publiée par Hattori Music Publishing (JASRAC)
Tous droits réservés. Utilisée avec permission.
« Regarde, on dirait une petite fleur japonaise qui n’est pas encore née. » Cette phrase initiatrice de votre projet vient de Léone, votre filleule. Quelle place occupe la réflexion sur le langage et l’enfance dans Violence ?
Les enfants disent de si belles phrases. Ils ont une pensée élaborée dès leur tout jeune âge. Cette phrase et celle-ci, « Le dieu a été mis chaos », en sont de bons exemples. Une fois exprimés ces mots nous touchent, mais nous les oublions très rapidement. On ne met pas les efforts pour essayer de voir ce qu’il y a derrière cette pensée, pour comprendre d’où elle vient et où elle pourrait nous mener.
Il y a cette phrase magnifique de l’écrivain John Berger : « Si tu veux savoir où tu vas, regarde d’où les enfants viennent. » Selon moi, l’une des premières violences à laquelle nous faisons face, enfant, est cette voix singulière qui est délaissée, refrénée parce que corrigée pour devenir adéquate.
Quand les enfants grandissent, ils se transforment et deviennent eux-mêmes, mais traversent aussi une succession d’épreuves où ils doivent se conformer. La première partie de Violence, Introduction à la violence qui a été présentée à l’Usine C au printemps 2019, est une réaction à cela.
Quand on lit le titre Violence, on s’attend peut-être à assister à une proposition sur la violence physique et ses ramifications sociales, politiques et économiques. Bien sûr, il y a un peu de ça dans le spectacle, mais je veux isoler ce mot de tous ces concepts. Ce n’est pas un manifeste. Je laisse plutôt la violence transpirer dans les tableaux conçus avec les artistes du projet.
Un important segment du projet est en partie créé au Japon, à Kinosaki et à Tokyo, en collaboration avec des créatrices japonaises. D’où part l’élan créateur qui vous amène à explorer une autre perception du temps, de l’existence et de la violence avec ces femmes ?
Ma première intuition pour ce spectacle s’est cristallisée au Japon alors que je visitais l’exposition Catastrophe et le pouvoir de l’art : ce que l’art peut faire en période chaotique lorsque l’avenir est incertain, en compagnie d’Antonin Sorel, scénographe du projet, à Tokyo. Une menace constante plane sur les Japonais, celle des catastrophes naturelles engendrées par la présence destructrice de l’Homme.
Avec Violence, je désire explorer cet aspect en me demandant comment ma pratique peut interagir avec cette réalité. Je suis très préoccupée par les défis environnementaux et sociaux auxquels nous faisons face. Dans les années à venir, la majorité des œuvres d’art porteront la trace de l’effondrement qui nous guette.
La résidence de création au Japon est née d’un désir de se retrouver dans un autre univers, de vivre une certaine immersion culturelle. Je souhaite que la présence des artistes japonaises évoque à la fois un Japon du passé et un autre très actuel, voire futuriste. Je suis curieuse de savoir ce qui les rattache au passé et ce qui les projette dans le futur. Comme dans le théâtre kabuki, je souhaite qu’à un certain moment du spectacle, on se trouve de l’autre côté de l’image, dans un revers du monde. Le théâtre, la création, dans l’idée d’un inconscient partagé, sont un geste de solidarité, de résonance et de partage. Voilà l’élan qui me porte.
L’expression de Léone, par laquelle vous commencez le spectacle, est une invitation à la création, tandis que la violence, au niveau théorique, en appelle à une pulsion de destruction. Comment expliquer cette contradiction ?
L’idée d’une naissance alors que le monde s’écroule est aussi incarnée dans la pensée de Léone. Cette petite fleur qui n’est pas encore née témoigne de quelque chose qui va arriver dans le futur, mais qui a peut-être déjà existé aussi. Il y a donc cette idée d’une antichambre où des esprits attendent, peut-être, le moment de leur (ré)incarnation. Le spectacle se déploie à cet endroit.
La destruction et la création sont deux idées très liées pour moi. La nature cristallise d’ailleurs cette concordance. C’est une puissance destructrice avec ses raz-de-marée et ses tremblements de terre, mais également une puissance créatrice, car elle donne la vie. La nature incarne un cycle de violence qui fait partie de notre écosystème.
Cette idée est incarnée dans l’art japonais du kintsugi. Cette technique japonaise consiste à réparer des objets cassés en porcelaine et à en souligner les cicatrices par de l’or liquide. C’est une métaphore puissante et une importante source d’inspiration pour nous. J’y vois un hymne au temps et à la durée. Une ode à la beauté de la vieillesse, au caractère sacré de l’expérience qui ne s’acquiert qu’avec le temps.
Source : Festival TransAmériques, 2021
Vous désirez en connaître davantage sur la création de Violence ?
Écoutez l’éclairante entrevue que Julien Morissette a menée avec Marie Brassard et son complice artistique Alexander MacSween.
« Cette convivialité, cette affection, cette générosité des [collaborateurs], tout ça laisse sa trace dans le spectacle. Et ça ne peut pas faire autrement de se transmettre comme un virus – l’image est bonne – aux gens qui viennent assister à la présentation, ou à la conclusion de notre travail. »
Marie Brassard
Marie Brassard est auteure, metteure en scène et actrice. En 2001, après avoir travaillé en étroite collaboration avec Robert Lepage pendant plus de quinze ans au théâtre et au cinéma, elle créait son premier spectacle solo, Jimmy, créature de rêve, dans le cadre du Festival TransAmériques. L’immense succès remporté par cette œuvre l’incita à fonder sa propre compagnie de production, Infrarouge, dont elle assume la direction artistique, et à amorcer une carrière solo. Depuis, travaillant en étroite collaboration avec des musiciens et artistes visuels, elle crée des spectacles aux atmosphères surréelles où la vidéo, la lumière et le son occupent une place royale.
En écho à son travail scénique interdisciplinaire, Marie Brassard a érigé au fil des ans une dramaturgie éclatée, où se chevauchent différents niveaux de narration et temporalités. Ses spectacles souvent le fruit d’un brillant dialogue avec le compositeur Alexander MacSween, dont les ambiances et musiques électroniques sont parties prenantes de son langage scénique.
Parmi les récentes mises en scène de Marie Brassard, mentionnons Éclipse, d’après des écrits de femmes poètes de la Beat generation (2020), La vie utile, d’Evelyne de la Chenelière (2018), et La fureur de ce que je pense, d’après l’œuvre de Nelly Arcan (2013).
Les créations de Marie Brassard présentées au CNA :
Mai 2017 : La fureur de ce que je pense
Décembre 2010 : Moi qui me parle à moi-même dans le futur
Avril 2009 : L’invisible
Décembre 2006 : Peepshow
Novembre 2003 : La noirceur
Décembre 2002 : Jimmy, créature de rêve
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Musicien, compositeur et artiste sonore, Alexander MacSween a participé à de nombreux projets de danse, théâtre et cinéma, incluant des œuvres de Marie Brassard, Daniel Brooks, Paul-André Fortier, François Girard, Brigitte Haentjens, Robert Lepage, José Navas et Porte-Parole. En tant que musicien, Alexander est actif dans les milieux du rock, de l’improvisation et de la musique électronique. Il a joué avec Bionic, Foodsoon, The Nils, Sam Shalabi et Le Quatuor de tourne-disques de Martin Tétreault. Alexander a aussi créé des performances musicales solo ainsi que des installations sonores. Il est également enseignant, donnant des formations sur le traitement du son en temps réel pour les arts de la scène, présentées à divers endroits en Europe et en Amérique du Nord. En 2018, il était finaliste pour le Prix Siminovitch.
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Antonin Sorel est artiste designer autodidacte. Inspiré par le travail de Jean Prouvé, de Mies van der Rohe, de Marcel Duchamp ou encore de l’Atelier van Lieshout, et nourri par la culture industrielle du XXe siècle, il est depuis toujours collectionneur de curiosités, de disques et d’objets trouvés ou obsolètes et de rebus. Son travail consiste principalement à détourner de leur fonction usuelle des objets pour les transformer en mobilier, luminaires, décors ou encore en petites structures habitables. Il travaille également au théâtre et au cinéma. Il a assumé la direction artistique de films des réalisateurs Karim Hussein, Vanya Rose et Sophie Deraspe. Au théâtre, il a conçu la scénographie de plusieurs spectacles signés par Marie Brassard, dont The Glass Eye, La fureur de ce que je pense et Dissidences, projet des finissants de l’École régionale des acteurs de Cannes.
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Sabrina Ratté est une artiste canadienne travaillant et vivant entre Montréal et Paris. Sa pratique s’intéresse aux multiples manifestations de l’image numérique : la vidéo analogique, l’animation 3D, la photographie, l’impression, la sculpture, la réalité virtuelle et l’installation. L’intégration continuelle de nouvelles techniques appuie formellement les thèmes qui traversent ses œuvres tels que l’influence psychologique qu’exerce l’architecture et l’environnement numérique sur notre perception du monde ainsi que la relation que nous entretenons avec l’aspect virtuel de l’existence. Elle est nommée sur la liste préliminaire pour le Prix Sobey pour les arts en 2019 et elle reçoit ce prix en 2020. Ses œuvres ont été présentées internationalement par plusieurs institutions, dont le Musée Laforet (Tokyo), le Centre Pompidou (Paris), le Musée national des beaux-arts du Québec, la Thoma Foundation (Santa Fe), le Centre PHI (Montréal), Whitney Museum of Art (New York), Chronus Art Center, (Shanghai) et le Museum of the Moving Image (New York).
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Mikko Hynninen est un artiste actif dans les domaines de la scénographie en théâtre, de la performance en musique contemporaine et de l’installation de type galerie, diplômé des beaux-arts et en tant que designer sonore et designer d’éclairages. C’est à ce titre, en plus de celui de compositeur, qu’il a pris part à de nombreuses productions en danse et en théâtre. Quand il ne travaille pas dans les arts de la scène, il s’intéresse de près aux environnements architecturaux et virtuels. Ses dernières productions solo dans le domaine de la scène sont tous de l’ordre de la performance à composante essentiellement sonore : Alphabets, une composition pour le Helsinki Computer Orchestra pour vingt-neuf artistes équipés d’ordinateurs portables, Fantasy#1 for a Pornstar, a monologue for retired pornstar, et Theatre#_, une performance in situ conçue pour les espaces théâtraux vides.
Infrarouge est une compagnie de création et de production fondée en 2001 dans le but d’élaborer une structure indépendante permettant à l’artiste Marie Brassard de créer des spectacles singuliers et d’en assurer la diffusion ici en Amérique et à travers le monde. La base du mandat que la compagnie s’est donnée : inventer un théâtre de création contemporain et novateur, ouvert sur le monde et exportable dans le monde entier. Questionner avec audace la pratique du jeu, de l’écriture théâtrale, scénographique et musicale, en faisant l’exploration de technologies modernes en collaboration avec des artistes d’origine et de disciplines diverses. Créer des spectacles qui demeurent fondamentalement des spectacles de théâtre, en bravant l’idée trop répandue que l’utilisation de la technologie au théâtre donne lieu à la création d’œuvres impersonnelles et sans chaleur.
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Équipe
Direction générale et artistique : Marie Brassard
Direction administrative : Dumont St-Pierre
Coordination : Catherine Sasseville
Agent de tournée à l’international : Menno Plukker Theatre Agent, Inc
Agent de tournée en France : Quaternaire
Infrarouge reconnaît le soutien du Conseil des arts du Canada, du Conseil des arts et des lettres du Québec et du Conseil des arts de Montréal.
International Alliance of Theatrical Stage Employees