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27 fév 2021 - 20 h
L’OCNA en direct vous propose un exaltant programme! Des œuvres contemporaines d’Anna Clyne, Zosha Di Castri et Errollyn Wallen côtoient des fleurons modernes de Ravel et Milhaud mettant en vedette deux des « Trente artistes classiques de moins de 30 ans à surveiller en 2020 », selon la CBC : Marie Bégin (violon) et Jennifer Tran (saxophone).
Notre concert débute avec une aventure aux sons et couleurs symphoniques à vous faire frissonner de plaisir : This Midnight Hour (2015) d’Anna Clyne. Son intense ouverture, note la compositrice, « s’inspire du caractère et de la puissance des cordes graves de l’Orchestre national d’Île-de-France », ensemble lui ayant commandé la pièce. La musique puise ensuite son inspiration dans deux poèmes – l’un de Juan Ramón Jiménez et l’autre de Charles Baudelaire (voyez les poèmes ci-dessous) – et, dit Clyne, « transporte les auditoires dans des univers visuels ». On suit d’abord le personnage de Jiménez – une femme courant à l’aveuglette, tête baissée – dans les tours et détours de la musique, marquée de motifs précipités et de nombreux changements frappants de registres, textures et dynamiques. Au milieu de la pièce s’élève une mélodie évoquant la « valse mélancolique » de Baudelaire, passionnément énoncée par les altos. Elle se désagrège toutefois rapidement et laisse place à l’anxiété de la première partie; devenant presque écrasante, celle-ci finit par s’apaiser, puis une tendre réflexion orchestrale sur le thème de la valse se fait entendre… avant que la composition ne se conclue sur une dernière surprise.
La soliste Marie Bégin tient ensuite la vedette dans Tzigane (1924) de Maurice Ravel. La pièce a été écrite pour la violoniste virtuose hongroise Jelly d’Arányi, que le compositeur avait vue en concert à Londres et à laquelle il avait ensuite demandé de lui jouer des mélodies gitanes tard dans la nuit. Inspiré par la musique interprétée et la prouesse technique de l’instrumentiste, Ravel conçut cette « rhapsodie de concert » en puisant à différents styles d’airs populaires, y compris gitans et hongrois, ainsi qu’au répertoire incontournable pour violon de compositeurs tels Pablo de Sarasate et Niccolò Paganini. Il l’écrivit d’abord pour violon et piano ou luthéal (dispositif pouvant être placé dans un piano pour reproduire la sonorité du cymbalum), puis en fit l’orchestration, version ici au programme.
Tzigane s’ouvre sur une longue, intense et méditative ouverture qui semble improvisée (elle constitue en fait la moitié de la pièce). À la suite d’une transition mystique à la harpe, le violon, qui prend maintenant sa place au sein de l’orchestre, se lance dans deux séries de thèmes et variations. La première s’appuie sur le thème mystérieux, quasi populaire, de l’ouverture, que le violon parcourt en démontrant toute sa virtuosité avec chaque variation – harmonies, pizzicato de la main gauche, doubles cordes et trilles. Une grandiose mélodie annonce alors une seconde série de variations basée sur une figure dansante. Le tempo s’accélère graduellement et la pièce tournoie de plus en plus vite jusqu’à sa conclusion.
À l’instar de This Midnight Hour, Cortège (2010) de Zosha Di Castri a des assises poétiques. La compositrice écrit, dans la note décrivant la pièce : « [J’ai tiré] l’idée d’une étrange procession, d’une incessante succession de personnes et de sons […] du poème « Dieu abandonne Antoine » de [Constantin P.] Cavafy (qui fait référence au siège d’Alexandrie mené par Octave, que raconte Plutarque dans sa Vie d’Antoine) et de la chanson qu’il a inspirée à Leonard Cohen (« Alexandra Leaving »). Un « accord puissant » lance Cortège, qui se décline par sections, tels des blocs chacun délimité par le retour périodique de l’accord initial, agissant comme « pivot entre les différentes parties ». L’effet recherché est une « riche mosaïque sonore » où des segments de musique « vespérale » contrastent les uns avec les autres dans leur texture; pincements-claquements des cordes, trémolos bourdonnants et glissandos sont au rendez-vous. L’atmosphère a quelque chose d’oppressant : « c’est comme si quelqu’un observait un défilé du haut d’une fenêtre, dit la compositrice, en ayant conscience de la fugacité de ces réjouissances. La musique préfigure la perte : c’est la veille du jour où la cité tombera aux mains ennemies, où l’être aimé partira pour toujours. »
Du paysage sonore d’agitation crépusculaire de Cortège, on est soudainement transporté dans l’optimisme guilleret de Scaramouche (1937) de Darius Milhaud, présenté ici dans l’arrangement du compositeur pour orchestre et saxophone alto (Jennifer Tran). Le contenu de la suite découle de la musique de scène composée par Milhaud pour deux productions théâtrales : les mouvements externes viennent de la partition de l’adaptation du Médecin volant de Molière signée Charles Vildrac; les mouvements internes sont tirés du thème d’ouverture de celle de la pièce Bolivar de Jules Supervielle. Le mouvement « Vif et joyeux » s’ouvre sur une mélodie animée pour le saxophone solo, où les syncopes se bousculent. Suit un thème aux allures enfantines tenant de la marche; le saxophone y ajoute des fioritures virtuoses avant de revenir en cascade au motif d’ouverture. Le deuxième mouvement comporte deux idées principales : la première est un thème proche d’une douce berceuse énoncé par le saxophone sur les lents rythmes parsemés de l’orchestre; la seconde est une mélodie formée de phrases plus gracieuses et fluides que celles qui précèdent, lesquelles s’échangent entre la soliste et l’ensemble. Ces deux thèmes sont combinés dans la dernière section du mouvement, suivant une section centrale évoquant la barcarolle. Si le saxophone joue la mélodie, dans « Brasileira », c’est l’orchestre qui donne vie à une samba endiablée.
Le concert se termine dans cette veine optimiste avec Mighty River (2007) d’Errollyn Wallen, qui rend hommage à l’incessante quête de liberté du genre humain. Dans une entrevue de 2017, la compositrice note : « le désir de liberté est inné chez l’humain, il est instinctif, semblable à la loi de la nature qui veut que le fleuve se déverse dans l’océan ». C’est la clé de Mighty River, qui se décline en un mouvement continu. Commandée par le recteur et le conseil pastoral de la paroisse de Holy Trinity Clapham Common ainsi que le révérend John Wates afin de souligner le bicentenaire de la Loi sur l’abolition de la traite des esclaves au Royaume-Uni, l’œuvre allie spirituals et techniques de composition contemporaines. L’intégration des spirituals à la partition met en relief l’histoire de l’esclavage qu’ont en commun le Royaume-Uni et les États-Unis, puisque ces chansons ont été entendues pour la première fois en sol britannique en 1873, lors d’une tournée de concerts des Fisk Jubilee Singers, un chœur afro-américain chantant a cappella.
Mighty River s’ouvre sur la mélodie de l’hymne « Amazing Grace », énoncée par le cor solo, et se poursuit avec des accords pulsés des cordes évoquant le flux incessant des cours d’eau. Au-dessus de cet arrière-plan minimaliste commence le murmure des bois, bientôt accompagnés des autres instruments qui donnent une texture ondulante et scintillante à ce passage tandis que de nouveaux thèmes se font entendre. À la moitié de la pièce, environ, viennent des allusions à deux spirituals, « Deep River » et « Go Down Moses », qui mènent à un sommet. Le « fleuve orchestral » reprend alors son cours, et divers instruments revisitent « Amazing Grace »; la musique coule, plus librement que jamais. Vers la fin, l’hymne revient dans une dernière version contemplative énoncée par le cor solo. Wallen décrit ainsi Mighty River : « Grâce au dynamisme qui lui est propre, c’est comme si le mouvement incessant de la musique – comme celui du fleuve ou du temps qui passe – portait en lui les échos du cœur humain et donnait une voix à la souffrance, au repentir, à l’humilité et à l’espoir. »
Enfin, j’attire votre attention sur trois des documents iconographiques affichés durant l’ouverture de Mighty River, dans le cadre de notre concert. Vous verrez d’abord un fleuve, le Mississippi : pour les esclaves africains aux États-Unis, il symbolisait à la fois servitude et indépendance : c’était la route vers l’esclavage, mais aussi vers la liberté. Vers la fin de l’ouverture viendra l’image d’un autre cours d’eau, le fleuve Belize. Wallen est née dans le pays du même nom, marqué par l’esclavage aux XVIIe et XVIIIe siècles. Entre ces deux images, vous verrez un timbre de 2007 commémorant le bicentenaire de la Loi sur l’abolition de la traite des esclaves. Il représente William Wilberforce (1789–1833), homme politique britannique, leader du mouvement pour l’abolition de la traite des esclaves.
Note d’Hannah Chan-Hartley, D. Mus.
Mention de sources pour Mighty River dans l’ordre de présentation :
Errollyn Wallen © Sir Cam
Holy Trinity Clapham © Spudgun67
Fleuve Mississippi © Brian Stansberry
Errollyn Wallen © Martin Goodwin
Timbre de 2007 © Howard Brown
Fleuve Belize © Laslovarga
Errollyn Wallen © Cathy Masser