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Dernière mise à jour: 20 décembre 2021
Les œuvres de Schönberg (1874-1951) et Beethoven (1770-1827) au programme de ce concert ont tant de points communs qu’il est intéressant de les considérer ensemble avant d’aborder les détails propres à chacun. Bien qu’elles aient recours à des instrumentations différentes, trio à cordes dans un cas et quatuor à cordes dans l’autre, les deux pièces ont été inspirées par des épisodes au cours desquels les deux compositeurs, malades, ont frôlé la mort, et écrites pendant leurs convalescences respectives.
Beethoven a achevé son Quatuor à cordes en la mineur (publié plus tard sous le numéro d’opus 132), avec son troisième mouvement « Heiliger Dankgesang », en juillet 1825, après qu’une grave maladie l’ait obligé à le mettre de côté pendant un mois. Schönberg n’avait qu’esquissé les contours de son Trio à cordes, une commande du département de musique de l’Université Harvard, quand il a subi, en août 1946, un grave infarctus dont il a heureusement réchappé, ce qui lui a permis de terminer sa composition.
Ces épreuves de la vie et de la mort ont incité les deux compositeurs à repousser les limites de leurs capacités techniques et créatrices, pour produire ces œuvres d’une saisissante originalité. Musicalement, les pièces font écho à l’expérience fragmentée de la maladie – la rage de s’accrocher à la vie quand sa propre survie est en jeu – à travers une conception similaire : la juxtaposition de deux univers sonores irréconciliables en apparence, introduits et résolus dans le cadre d’une architecture en cinq parties.
Bien que Schönberg n’ait pas laissé d’écrits précisant l’influence de la maladie sur son Trio, il a parlé à des collègues, des élèves et des amis d’un lien très net entre les deux. Selon Leonard Stein, qui œuvra ponctuellement comme assistant du compositeur, Schönberg expliquait les « nombreuses juxtapositions de matériaux improbables dans le Trio comme des reflets de la fièvre qu’il avait subie », à savoir, « l’expérience du temps et des événements tels qu’ils sont perçus dans un état demi-conscient ou sous forte sédation » (cité par Walter Bailey). Le matériau musical évoque ainsi « l’alternance des phases de ‟souffrances et douleurs” et ‟d’apaisement et repos” » via l’introduction de contrastes extrêmes tout au long de la pièce.
Les deux premières parties du Trio, appelées respectivement « Partie 1 » et « Premier épisode » sur la partition, évoquent cette dichotomie tout en présentant le matériau thématique de base de l’œuvre. Dans la Partie 1, la souffrance et la confusion s’expriment dans l’emploi que fait Schönberg de la technique dodécaphonique, amplifiée par les dissonances et les effets sonores grinçants, les changements rapides de motifs musicaux, et les sauts de registres extrêmes. Ce chaos organisé ouvre ensuite la voie au calme relatif du Premier épisode, où le lyrisme et des touches de tonalité adoucie tiennent le haut du pavé. À mi-chemin émergent les fragments d’une valse – un rappel de la ville natale de Schönberg, Vienne, qu’il avait quittée définitivement pour s’établir aux États-Unis dans les années 1930. Tout ce matériau est davantage développé dans la Partie 2 et surtout dans le Deuxième épisode, où il atteint son paroxysme dans une phrase de douze notes jouée à l’unisson. La Partie 3 récapitule différentes parties de la première moitié de la pièce, dans une sorte de méditation qui résume ce qui s’est produit précédemment. À la fin, l’œuvre glisse tout doucement dans les fragments de valse.
Les contrastes extrêmes caractérisent également le mouvement « Heiliger Dankgesang » de Beethoven. Deux sections de musique radicalement différentes sont présentées tour à tour, deux fois chacune, avec un segment final qui s’efforce de les réconcilier. La première, que Beethoven a baptisée « Chant sacré d'action de grâce d’un convalescent à la Divinité dans le mode lydien », introduit un air très simple, s’apparentant à un hymne, qui progresse un pas à la fois, avec des changements progressifs d’harmonisation. Le rythme de leur procession est d’une lenteur presque douloureuse, et la tension que subissent les inteprètes pour soutenir ce rythme magnifie son aura d’un autre monde. Cette évocation raréfiée de l’au-delà est soudainement interrompue par un retour à « l’ordinaire ». Marquée sur la partition comme la « sensation d’une force renouvelée » et écrite dans la tonalité de ré majeur, cette section est, par son style, tout ce que l’autre n’est pas : des phrases semblables à des danses, des trilles étincelants, de délicats contrepoints, et des lignes de basse bondissantes… une vision exaltante du retour à la vie ou de son renouvellement. Dans la section finale, seule la première phrase de l’hymne est reprise, chacun des instruments prenant l’initiative à tour de rôle en un contrepoint très élaboré. Après l’atteinte d’un intense point culminant, la tension se relâche à la faveur des dernières réexpositions de la phrase de l’hymne. À la fin, on ressent, comme membre de l’auditoire, l’impression ineffable d’avoir subi soi-même une profonde transformation.
Entre les œuvres de Schönberg et de Beethoven, on entendra le Mouvement pour trio à cordes du compositeur américain Coleridge-Taylor Perkinson (1932–2004). Perkinson a connu une fructueuse carrière de compositeur et chef d’orchestre, embrassant un large spectre musical qui allait de la musique classique à la musique populaire et au jazz, en passant par les musiques pour le cinéma et la télévision. Parmi ses nombreux faits d’armes, il a fondé l’ensemble Symphony of the New World à New York, et dirigé le Center for Black Music Research ainsi que le New Black Music Repertory Ensemble au Columbia College de Chicago.
Le Mouvement pour trio à cordes a été l’ultime composition de Perkinson, écrite en février et mars 2004, tout juste avant de succomber au cancer qui l’a emporté le 9 mars. Dans le style d’une complainte qu’on croirait tirée d’un opéra baroque, mais avec des dissonances typiques du XXe siècle, le mouvement comporte une mélodie élégiaque prenant la forme d’un duo entre le violon et l’alto, sur une ligne chromatique descendante répétée dont les variations sont jouées par le violoncelle, avec les cordes alternativement pincées et frottées.
par Hannah Chan-Hartley
Yosuke Kawasaki est violon solo de l’Orchestre du CNA et premier violon invité de l'orchestre symphonique NHK à Tokyo. Sa polyvalence artistique lui a permis de faire carrière en musique symphonique, en musique de chambre et comme soliste. Comme musicien d’orchestre, il a fait ses débuts à l’Orchestre symphonique de Montgomery. Il a ensuite été violon solo à l’Orchestre de chambre Mito, à l’Orchestre Saito Kinen et au Japan Century Orchestra. Comme artiste solo et chambriste, il a fait carrière sur cinq continents. Il a collaboré avec des musiciens comme Seiji Ozawa, Pinchas Zukerman et Yo-Yo Ma, et s’est produit dans les plus prestigieuses salles du monde, dont le Carnegie Hall, le Suntory Hall et le Royal Concertgebouw.
Yosuke est actuellement membre de deux ensembles, Trio Ink et Mito String Quartet. Passionné de musique de chambre, il est directeur musical du Festival de musique Affinis au Japon. Il est aussi conseiller artistique d’un festival de musique de chambre bulgare appelé Off the Beaten Path.
En tant qu’enseignant, Yosuke a œuvré partout au Canada, offrant des classes de maître et jouant avec des élèves dans leurs écoles. Spécialiste du répertoire pour quatuor à cordes, il est devenu à 26 ans le plus jeune enseignant de l’académie internationale de musique de chambre Ozawa, un poste qu’il s’est vu confier par Seiji Ozawa. Il a aussi été professeur adjoint de violon à l’Université d’Ottawa de 2013 à 2022, aux côtés du très aimé pédagogue Yehonatan Berick.
Yosuke a commencé le violon à l’âge de six ans, d’abord sous la tutelle de son père Masao Kawasaki, puis sous celle de Setsu Goto. Il a par la suite été accepté dans la section précollégiale de l’école Juilliard, et a été diplômé de cette institution en 1998. Il y a étudié auprès de Dorothy DeLay, Hyo Kang, Felix Galimir et Joel Smirnoff.
Violoniste canadienne d’ascendance allemande et libanaise, Jessica Linnebach est une artiste accomplie menant une carrière riche et diversifiée de soliste, de chambriste et de musicienne d’orchestre.
Reconnue pour sa « sonorité évoquant le caramel brûlé, sa virtuosité téméraire […] et son lyrisme romantique » (ARTSFILE), Jessica s’est produite comme soliste avec des orchestres du monde entier. Chambriste passionnée, elle fait partie du quatuor à cordes Ironwood avec ses collègues de l’Orchestre du CNA Emily Kruspe, Carissa Klopoushak et Rachel Mercer. L’ensemble participe à de nombreuses séries de concerts, telles les Sessions WolfGANG et Musique pour un dimanche après-midi au CNA, et à des festivals de musique de chambre, comme le Chamberfest d’Ottawa, Pontiac Enchanté, Ritornello et Classical Unbound. S’employant à atteindre un vaste public, Jessica est membre de la direction artistique de Classical Unbound, le festival de musique de chambre du comté de Prince Edward.
Acceptée au prestigieux Institut de musique Curtis de Philadelphie à l’âge de dix ans, Jessica demeure l’une des plus jeunes élèves à avoir obtenu un baccalauréat en musique de cet établissement. Elle y eut pour maîtres Aaron Rosand, Jaime Laredo et Ida Kavafian. Elle a ensuite étudié auprès de Pinchas Zuckerman et Patinka Kopec à la Manhattan School of Music de New York, qui lui a décerné une maîtrise alors qu’elle n’avait que 18 ans.
Jessica vit à Ottawa et occupe le poste de violon solo associée à l’Orchestre du CNA depuis 2010. Leader née, elle a été à plusieurs reprises violon solo invitée pour l’Orchestre symphonique de Pittsburgh, l’Orchestre symphonique d’Indianapolis et l’Orchestre philharmonique de Buffalo.
Jessica joue sur un violon datant d’environ 1840, créé par le luthier Jean-Baptiste Vuillaume (modèle de 1737 Guarnerius del Gésu). Ses archets ont été confectionnés par Ron Forrester et Michael Vann.
En 2014, après 12 ans à l’étranger, l’altiste David Marks est revenu au Canada pour accepter le poste d’alto solo associé au sein de l’Orchestre du CNA. Né à Vancouver, David a grandi en Virginie dans une famille musicale. Dès un jeune âge, il s’adonne à la composition, à l’écriture, au dessin et à la peinture; ces passions ont donné lieu à des dizaines de chansons originales, de toiles et de murales. Ses études d’alto l’ont mené à travers les États-Unis et l’Europe pour apprendre auprès de Roberto Diaz, Atar Arad, Karen Tuttle, Gerard Caussé, Thomas Riebl et Nobuko Imai, ainsi qu’au Banff Centre, à l’Académie de Musique Tibor Varga et à Prussia Cove.
En Europe, David a été alto solo pour l’Orchestre de Montpellier et l’Opéra de Bordeaux, La Orquesta de la Ciudad de Granada, Holland Symfonia et Amsterdam Sinfonietta. Il a été alto solo de l’Orchestre philharmonique de Londres sous les baguettes de Vladimir Jurowski, Christoph Eschenbach, Yannick Nézet-Séguin, et Marin Alsop. Un incontournable de la scène musicale contemporaine, il s’est produit à travers l’Europe avec l’Ensemble Asko/Schonberg, l’Ensemble Moderne, le Mondriaan Quartet, Fabrica Musica et Nieuw Amsterdamse Peil. Il a été membre du groupe de musique contemporaine d’avant-garde danois Nieuw Ensemble, avec qui il a tourné en Chine et enregistré plus de 40 œuvres.
En tant que musicien folk, David a tourné en Lettonie, en Lithuanie et en Estonie avec ses chansons de The History of Dynamite. Son opéra folk The Odyssey a été interprété au Banff Centre et subséquemment au Theater de Cameleon à Amsterdam. Il joue du violon et de la guitare, et a déjà accompagné Van Dyke Parks, Bill Frisell et Patrick Watson.
Il habite à Wakefield, au Québec, avec sa conjointe et leurs quatre enfants.
Qualifiée de « chambriste authentique » (The Globe and Mail) qui sait créer des « moments de pure magie » (Toronto Star), la violoncelliste canadienne Rachel Mercer s’est produite comme soliste et chambriste sur cinq continents.
Lauréate du Grand Prix Vriendenkrans d’Amsterdam (2001), elle est violoncelle solo de l’Orchestre du CNA à Ottawa et codirectrice artistique de la série de concerts de musique de chambre 5 at the First à Hamilton et à Orléans, en Ontario. Elle est membre du duo Mercer-Park, du trio St. John-Mercer-Park et du quatuor Ironwood, et a été violoncelliste pour le quatuor pour piano Ensemble Made in Canada, lauréat d’un prix JUNO (2008-2020), pour le trio AYR (2010-2020) et pour le quatuor Aviv (2002-2010). Elle a donné des classes de maître en Amérique du Nord, en Afrique du Sud et en Israël ainsi que des conférences sur le jeu et les carrières en musique. Participant activement à la diffusion de la musique canadienne contemporaine, elle a commandé et joué plus de 30 compositions, dont des concertos pour violoncelle signés Steward Goodyear et Kevin Lau et des œuvres solo et de musique de chambre de Vivian Fung, Andrew Downing, Alice Ho, David Braid, Kelly-Marie Murphy, John Burge et Jocelyn Morlock.
Parmi ses récents albums de musique de chambre et d’œuvres solo, on compte Kevin Lau: Under A Veil of Stars (Leaf Music), Our Strength, Our Song (Centrediscs), John Burge: One Sail (Naxos), Alice Ho: Mascarada (Centrediscs), ainsi que les suites complètes de Bach (Pipistrelle, 2012) jouées sur le violoncelle Stradivarius Bonjour de 1696 provenant de la Banque d’instruments de musique du Conseil des arts du Canada. Rachel Mercer joue actuellement sur un violoncelle fabriqué au XVIIe siècle en Italie du Nord.