≈ 2 heures · Avec entracte
I. Moderato
II. Allegretto
III. Largo
IV. Allegro non troppo
Au début des années 1930, Dmitri Chostakovitch (1906-1975) était l’un des principaux compositeurs de l’Union soviétique, réputé dans son pays comme à l’étranger. En 1934, son opéra Lady Macbeth du district de Mtsensk était créé à Leningrad et recevait un accueil très favorable. Deux ans plus tard, après 180 représentations, la Pravda écrivait que cette œuvre était un « fouillis tenant lieu de musique ». C’est que Staline et ses collaborateurs avaient assisté à une nouvelle production, au Bolchoï, le 26 janvier 1936. Presque immédiatement, Chostakovitch devint un paria. Le 6 février, il subissait un autre affront lorsque son ballet Le ruisseau limpide était qualifié de « faux ballet » par le même journal. Dans ces articles, non signés, le message était clair : modifiez votre manière de faire ou vous en paierez le prix. L’onde de choc se propagea à travers l’establishment culturel soviétique : l’un de ses plus dignes représentants était menacé d’être bâillonné et bientôt, beaucoup d’autres le seraient. Les Grandes Purges de Staline avaient commencé et ceux qui ne rentraient pas dans le rang risquaient d’être arrêtés, détenus dans un rude camp de travail, ou exécutés.
Après ces attaques de la Pravda, Chostakovitch devait trouver un moyen de survivre artistiquement. Il aurait pu créer une œuvre conforme au discours du Parti communiste et amadouer ainsi Staline et ses fonctionnaires. Au lieu de cela, il chercha à rétablir sa réputation en composant sa Quatrième symphonie, un pari certes difficile. Chostakovitch y travaillait au moment des attaques de la Pravda. Il comptait malgré tout la présenter en décembre 1936. Pendant les répétitions, l’œuvre fut retirée à la dernière minute. Elle ne sera créée qu’en 1961. D’avril à juin 1937, soit au plus fort des Grandes Purges, il se mit à écrire sa Cinquième symphonie, laquelle fut donnée pour la première fois par l’Orchestre philharmonique de Leningrad, le 21 novembre de la même année.
La réaction du public fut extraordinaire : on a pleuré sans retenue pendant le mouvement lent et, à la fin, l’ovation a duré plus d’une demi-heure. La critique a également réagi positivement. L’œuvre a rapidement intégré le répertoire soviétique et la stature de Chostakovitch fut progressivement restaurée. L’œuvre a aussi connu un succès international. Aujourd’hui, elle reste la plus populaire et la plus jouée des 15 symphonies de Chostakovitch.
Composée dans des conditions sans précédent de surveillance et d’ingérence politiques, la Cinquième symphonie marqua un tournant décisif dans l’activité créatrice de Chostakovitch. Selon le musicologue David Fanning, le compositeur « avait besoin d’une formule pour trouver un équilibre entre sa conscience artistique et les exigences imposées d’en haut, lesquelles pouvaient être aussi imprévisibles qu’impératives ». La forme abstraite de la symphonie était la voie à suivre, car Chostakovitch pouvait ainsi, selon Fanning, « continuer à modérer son style en lui conférant un sens lyrique et héroïque “acceptable”, tout en développant un jeu de significations contextuelles et intertextuelles susceptibles de modifier, voire de contredire, l’impression de surface ». Comme première application de ce principe de composition, la Cinquième connut un grand succès, notamment, comme le faisait remarquer Pauline Fairclough, spécialiste de Chostakovitch, grâce à ceux qui « savaient comment encadrer et interpréter [la Cinquième] de manière telle que son acclamation puisse être idéologiquement justifiée » auprès des autorités. Dans les mois qui suivirent la création, après la réaction de la presse, on en vint à donner à la Cinquième le sous-titre de « Réponse créative d’un artiste soviétique à de justes critiques », lequel sous-titre n’était pas de Chostakovitch.
Pour sa Cinquième symphonie, Chostakovitch a adopté le modèle éprouvé qui consiste à faire d’une symphonie le reflet d’un parcours psychologique qui va de la lutte au triomphe. Beethoven avait établi ce modèle dans sa Cinquième et de nombreux compositeurs l’ont utilisé par la suite. À un correspondant de la Literatournaïa Gazeta qui préparait un article devant paraître le 12 janvier 1938, Chostakovitch déclarait vouloir « montrer dans la [cinquième] symphonie comment, à travers une suite de conflits tragiques et de grandes luttes intérieures, “un regard optimiste sur le monde” pouvait triompher ». Certes conscient de l’attrait universel de ce concept, il n’a fait allusion à ce que cela signifiait pour lui que dans les notes de la partition : le quatrième mouvement comprend des citations musicales de sa mise en musique, de 1936, du poème Renaissance, de Pouchkine, qui décrit la survie de l’art véritable face à un « artiste-barbouilleur » qui « noircit la toile d’un génie ».
Sous cet angle, la musique de la Cinquième traverse un vaste espace émotionnel grâce à une maîtrise inventive de la technique d’orchestration et du processus symphonique. L’influence de Gustav Mahler est évidente (Chostakovitch avait étudié ses symphonies à l’époque de la composition de la Cinquième), bien que l’on perçoive une touche bien personnelle. C’est ce que l’on retrouve tout au long de l’œuvre, dans l’évocation de paysages sombres et désolés, de marches sinistres, de Ländlers ironiques, de climax massifs brutalement contrariés et de moments de fragilité, tendres, pleins d’espoir et de consolation. De la grandeur tragique de son premier mouvement, en passant par l’humour noir du deuxième, le cœur angoissé du troisième et son final flamboyant, la Cinquième symphonie de Chostakovitch est une expérience musicale intensément cathartique.
Pourtant, vous auriez raison de remarquer plus qu’un soupçon d’ambivalence dans la coda « triomphante » du finale. (Les critiques attentifs, lors de la création de l’œuvre, l’ont également perçu.) Après tout, il ne s’agit pas de l’expression d’une joie débridée. Après un ralentissement massif et une déchirante mutation en ré majeur, le mouvement se poursuit dans un rythme obstinément régulier. Sur des fanfares de cuivres soutenues et des coups de timbales retentissants, les cordes et les bois jouent inlassablement les mêmes tons, fortississimo (extrêmement fort), pendant plus d’une minute, jusqu’à l’accord final. Au fil des ans et aux vues d’interprétations concurrentes (à la fois verbales et musicales), le « sens » de cette conclusion s’est avéré particulièrement hasardeux et controversé. Certains ont douté de la sincérité du triomphe, mais cela aussi est trop réducteur. De plus, comme Fairclough l’a précisément observé, si l’on avait perçu le triomphe comme forcé ou faux, il n’aurait pas été logique que le public soviétique réagisse aussi ouvertement et fortement à cette symphonie et que les orchestres philharmoniques de Leningrad et de Moscou la jouent aussi souvent (au moins 21 fois de 1937 à 1941) et défendent ainsi, au péril de leur vie, l’œuvre d’un compositeur à la réputation chancelante. Ainsi, le pouvoir remarquable de la conclusion de la Cinquième de Chostakovitch réside peut-être dans sa polyvalence : elle évoque notre capacité à ressentir des émotions contradictoires et nous permet, individuellement et collectivement, de les accueillir dans la complexité de nos propres expériences.
Notes de programme par Hannah Chan-Hartley (traduit de l’anglais)
Qualifié de « phénomène » par le Los Angeles Times et classé parmi les « meilleurs pianistes de sa génération » par le Philadelphia Inquirer, Stewart Goodyear est un pianiste de concert, improvisateur et compositeur accompli. Musicien très présent sur la scène internationale, il a reçu de nombreuses commandes des orchestres et ensembles de musique de chambre les plus prestigieux du monde.
L’an passé, il a publié sous l’étiquette Orchid Classics une suite pour piano et orchestre intitulée Callaloo, et une sonate pour piano. Parmi ses récentes commandes, notons : un quintette pour piano pour le quatuor à cordes Penderecki et une œuvre pour piano pour le concours international de piano Esther Honens.
Sa discographie comprend l’intégrale des sonates et concertos pour piano de Beethoven, ainsi que des concertos de Tchaïkovsky, Grieg et Rachmaninov, un album regroupant des œuvres pour piano seul de Ravel, et un album intitulé For Glenn Gould dans lequel il reprend le répertoire avec lequel Glenn Gould a fait ses débuts en concert aux États-Unis et à Montréal. En 2015, son propre arrangement pour piano du Casse-Noisette de Tchaïkovsky (intégrale du ballet) est reconnu par le New York Times comme l’un des meilleurs albums de musique classique de l’année. Ses albums paraissent sous les étiquettes Marquis Classics, Orchid Classics, Bright Shiny Things, Steinway and Sons, et Naxos.
L’été dernier, il s’est produit avec l’Orchestre Chineke! au Southbank Centre (Royaume-Uni), au Festival de musique du Schleswig-Holstein, au Festival de musique de Grant Park, et au Festival Mostly Mozart (New York). Il a également joué avec le Chineke! au CNA, en mars 2023. Ses engagements pour la saison 2023-2024 comprennent un premier récital au Wigmore Hall, des débuts avec l’Orchestre symphonique de la Ville de Birmingham, ainsi que de nouvelles prestations avec l’Orchestre philharmonique de Buffalo et l’Orchestre symphonique de Milwaukee. Il fera également ses débuts au Carnegie Hall avec l’Orchestre du Conservatoire Royal de Musique de Toronto, sous la direction de Peter Oundjian.
Fondé en 1919, l’Orchestre symphonique de Vancouver (VSO), lauréat de prix GRAMMY et JUNO, offre des prestations passionnées et de haut calibre de musique classique et issue de diverses cultures, tissant des liens privilégiés avec des publics de tous âges et de tous horizons. Le VSO s’est produit en tournée aux États-Unis, en Chine, en Corée et partout au Canada.
Sous la direction musicale d’Otto Tausk depuis 2018, l’Orchestre présente plus de 150 concerts par année à Vancouver et ailleurs en Colombie-Britannique, et touche un public de 270 000 personnes annuellement. Il est l’un des rares orchestres dans le monde à avoir sa propre école de musique.
Parmi les personnalités invitées du VSO, mentionnons Yo-Yo Ma, Itzhak Perlman, Joe Hisaishi, Daniil Trifonov, Dawn Upshaw, James Ehnes, Adrianne Pieczonka, Gidon Kremer, Renée Fleming, Yefim Bronfman, Bernadette Peters et Tan Dun.
Alliance internationale des employés de scène et de théâtre