≈ 2 heures · Avec entracte
I. Allegro non troppo
II. Adagio
III. Allegro giocoso, ma non troppo vivace
La plupart des concertos pour violon du XIXe siècle que nous entendons dans les salles de concert de nos jours ont été écrits pour les plus remarquables virtuoses de l’époque (dans certains cas, la composition et l’interprétation étaient le fait d’une seule et même personne). Cependant, bien peu ont collaboré aussi étroitement que Johannes Brahms (1833-1897) et le grand violoniste hongrois Joseph Joachim (1831-1907) pour créer une œuvre sur laquelle l’interprète a laissé une empreinte aussi indélébile. À ce titre, le Concerto pour violon de Brahms reste un exemple unique du genre en son temps, brouillant les frontières entre composition et interprétation, soliste et orchestre, concerto et symphonie.
En août 1878, alors qu’ils sont déjà amis depuis vingt-cinq ans, Brahms surprend Joachim en lui présentant le premier mouvement d’un concerto pour violon auquel il travaillait en secret, lui demandant de réagir à tout ce que le violoniste trouvera « difficile, maladroit, impossible ». Ravi, Joachim répondra : « La plus grande partie est jouable, une grande partie est tout à fait originale sur le plan violonistique; mais je ne peux pas confirmer si [l’œuvre] sera agréable à jouer dans une salle surchauffée, à moins de la jouer en entier. »
Au cours des mois suivants, ils travaillent ensemble sur le concerto, en personne et par correspondance, jusqu’à sa création, le jour de l’An, au Gewandhaus de Leipzig, avec Joachim au violon et Brahms sur le podium. Cette première tentative se révèlera décevante : n’ayant reçu la partie de violon complète que quatre jours auparavant, Joachim n’était pas suffisamment préparé et Brahms était nerveux, tandis que le public s’est montré froidement poli et les critiques ont été mitigées. Deux semaines plus tard, à Vienne, Joachim a joué de nouveau le concerto (cette fois sous la direction de Joseph Hellmesberger) et a obtenu de bien meilleurs résultats, même si les critiques sont restées réservées. Tirant les leçons de ces interprétations, Brahms et Joachim ont continué à peaufiner ensemble la partition, ajustant les questions d’équilibre (par exemple en amincissant l’orchestration par endroits) et affinant les détails violonistiques, alors même que Joachim l’interprétait régulièrement. En août, après une dernière consultation en personne (au cours de laquelle ils l’ont joué intégralement pour Clara Schumann), ils se sont mis d’accord sur la version finale du concerto, qui a été publiée en octobre.
Comme l’ont révélé plusieurs spécialistes, Brahms n’a pas seulement écrit son Concerto pour violon pour Joachim, il l’a écrit avec lui. Il a consulté Joachim non seulement pour s’assurer que son écriture violonistique était de façon idiomatique naturelle, mais aussi pour créer une partie soliste qui incarne au mieux le style d’interprétation pour lequel le grand violoniste était vénéré. Au-delà de ses compétences techniques exceptionnelles, Joachim était célébré pour son attitude intransigeante à l’égard de la qualité musicale et de la fidélité à la partition originale. De plus, comme l’a découvert la musicologue Karen Leistra-Jones, il était particulièrement admiré pour son « étrange capacité à présenter des œuvres musicales composées comme si elles étaient improvisées, créées sur place par une mystérieuse fusion entre Joachim lui-même et l’esprit d’où l’œuvre avait émergé ». Comme on pourra l’entendre, c’est cette qualité de spontanéité improvisée dans le jeu de Joachim que Brahms, en travaillant avec lui, a captée dans la partie de violon. Par ailleurs, l’orchestre n’est pas une simple toile de fond, mais il est façonné par des procédés symphoniques rigoureux, dans lesquels le solo de violon intervient et s’entrelace avec la trame musicale.
La tension entre ces deux univers expressifs est particulièrement palpable dans le substantiel premier mouvement du concerto. L’orchestre commence par l’introduction de plusieurs motifs importants : 1) une ligne arpégée descendante puis ascendante de caractère paisible; 2) des octaves robustes et audacieuses; 3) des phrases doucement sinueuses; 4) des rythmes rapides et affirmés qui conduisent à l’entrée du violon solo. Tout au long du mouvement, chacun de ces éléments revient et subit des transformations, tandis que le violon, de façon générale, rumine et ornemente ce matériau de manière libre et expansive. Dans la partie lyrique du second thème, le violon interjette un nouveau thème expressif qui ne figurait pas dans l’exposition orchestrale. Le conflit entre les deux mondes s’intensifie dans la section du développement, mais culmine finalement dans un retour exubérant du thème d’ouverture pour la réexposition. Au point traditionnel de la cadence, Brahms a demandé à Joachim de créer la sienne, et ce dernier, fait à signaler, l’a écrite au lieu d’en improviser une (aujourd’hui, sa cadence est encore la plus souvent jouée). Solide composition en soi, la cadence reprend tous les thèmes et motifs principaux du mouvement. À la fin, le violon réexpose tranquillement le thème d’ouverture, que la clarinette et le hautbois reprennent ensuite, tandis que le violon poursuit avec une sublime expansion qui l’amène à s’élever toujours plus haut. (Nous devons ce moment exquis au fait que Brahms a suivi le conseil de Joachim, qui lui suggérait de rendre sa conception originale du thème moins « inconfortable » pour le violon.) Peu à peu, le violon émerge de son idylle, fondant sa ligne dans des phrases d’improvisation fluides, après quoi l’énergie reprend le dessus et clôt le mouvement avec emphase.
Le concerto est complété par deux mouvements plus courts de caractère contrasté. Prolongeant l’« idylle » de la fin de l’Allegro, l’Adagio s’ouvre sur une magnifique mélodie entonnée par le hautbois solo. Comme dans le premier mouvement, le violon reprend le thème et l’approfondit, explorant à fond ses possibilités lyriques et émotionnelles. Après une section médiane rhapsodique, la mélodie réapparaît au hautbois, enveloppée par le violon. Les deux instruments poursuivent un tendre dialogue jusqu’à la sereine conclusion du mouvement. Le finale est un affectueux hommage à Joachim. Dans le style hongrois (un mélange d’éléments musicaux hongrois et de la virtuosité fluide des interprètes roms), le violon se déchaîne pleinement dans ce rondo endiablé qui alterne des rythmes de danse rigoureux, des séries d’ornementations et des mélodies délicates et charmantes.
Note de programme par Hannah Chan-Hartley (traduit de l’anglais)
Sortelung (près de Nørre Lyndelse), île de Fionie, Danemark, 9 juin 1865
Copenhague, 3 octobre 1931
Tout comme le Finlandais Sibelius, le plus célèbre compositeur du Danemark, Carl Nielsen, compte parmi les plus importants symphonistes du début du XXe siècle. Nielsen avait un style qui n’appartenait qu’à lui, mais il a vécu à une époque si riche en personnalités flamboyantes – Debussy, Bartók, Mahler, Ravel, Satie, Schoenberg, Busoni, Strauss, Stravinsky, Varèse… – qu’il ne restait guère de place, sur la scène internationale, pour une musique relativement conservatrice écrite par un homme simple et tranquille de Copenhague.
Mais les temps changent, et la cote de Nielsen est nettement plus élevée aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a quelques décennies. Sa musique, notamment ses six symphonies et trois concertos (pour clarinette, flûte et violon), est maintenant jouée régulièrement et appréciée pour son approche rafraîchissante des formes anciennes, sa profonde humanité, son dynamisme et son charme irrésistible.
La condition humaine est au cœur de la Symphonie no 2. En 1901, alors qu’il était en visite dans un village de Zélande, il vit sur le mur d’une taverne une série de tableaux évoquant les quatre « tempéraments » de l’être humain. Sa première réaction fut d’en rire sarcastiquement avec ses amis. Mais plus tard, voici ce qu’il réalisa : « mes pensées y étaient ramenées constamment, et un beau jour, il m’est apparu clairement que ces humbles tableaux présentaient une valeur intrinsèque, voire une possibilité musicale. » Ces réflexions donnèrent naissance à une symphonie en quatre mouvements, que Nielsen acheva en 1902. La création, sous la baguette du compositeur lui-même, eut lieu à Copenhague le 1er décembre de la même année.
Les quatre humeurs (ou « tempéraments ») ont occupé médecins, philosophes et psychologues depuis l’Antiquité. Essentiellement, selon la théorie des humeurs, quatre fluides fondamentaux du corps humain contribuent à former la personnalité de chacun : le sang; le phlegme (produit par la gorge); la bile noire (sang coagulé émanant de la rate); et la bile jaune (bile sécrétée par le foie). Le premier était associé à l’enthousiasme et l’excitabilité; le deuxième, à l’apathie et l’indolence; le troisième, à la mélancolie; et le quatrième, à la colère et l’irritabilité.
Le premier mouvement de la symphonie, de forme sonate, fuse avec toute la vigueur et le dynamisme qu’on peut attendre d’un tempérament « colérique », bien qu’on trouve aussi, plus tard, des moments d’apaisement et de retenue (notamment le lumineux et attachant second sujet, exposé par les bois). « L’homme impétueux, souligne Nielsen, peut avoir ses moments d’apaisement, le mélancolique, ses élans d’impétuosité ou de joie, et l’homme affable et enjoué peut devenir quelque peu contemplatif, voire plutôt sérieux – mais seulement pour un petit moment. »
Bien que l’idée de la musique à programme ait déplu au compositeur, il a fait une exception pour le deuxième mouvement de cette symphonie. « J’ai imaginé un jeune homme de fort aimable disposition […]. Comment le morigéner, puisque tout ce qui est idyllique et paradisiaque dans la nature se retrouve en lui. Il aime se détendre au soleil tandis que les oiseaux chantent et que les poissons glissent dans l’eau en silence. Je ne l’ai jamais vu danser; il n’est pas assez actif pour ça, mais il pourrait bien avoir envie de se laisser bercer par un rythme de valse doux et lent, aussi ai-je ici utilisé [un tel rythme]. » Tranchant avec les changements d’humeur qui se manifestent dans les autres mouvements, Nielsen affirme ici : « l’homme paresseux, indolent […] n’émerge de son apathie qu’avec la plus grande difficulté; ce mouvement est donc à la fois très court (il ne veut pas être dérangé) et constant dans sa progression. »
Le mouvement qui porte l’indication Andante malincolico (le compositeur a mal orthographié l’italien « malinconico ») est en effet oppressant, austère et chargé de la sombre tonalité de mi bémol mineur (six demi-tons). Pour Nielsen, ce qui s’exprime ici est « un puissant cri de souffrance » (cordes), un motif s’apparentant à « une plainte, un soupir (hautbois) qui se développe lentement, s’achevant au paroxysme du chagrin et de la douleur. Après une courte transition survient un épisode apaisé et résigné, en mi bémol majeur. »
Dans le finale sanguin, Nielsen a voulu évoquer « un homme qui avance impétueusement et croit que le monde entier lui appartient […] La marche finale, si joyeuse et légère soit-elle, n’en affiche pas moins une plus grande dignité, et bien moins de futilité et de contentement de soi que dans les parties antérieures de son développement. »
– Traduit d’après Robert Markow
Lauréate de trois prix GRAMMY, la violoniste Hilary Hahn conjugue musicalité expressive et expertise technique dans un répertoire varié guidé par une grande curiosité artistique. Artiste de studio prolifique et créatrice de nouvelles œuvres de commande, elle a produit 23 enregistrements encensés par la critique. Elle vient de terminer sa troisième saison en tant que première artiste en résidence de l’Orchestre symphonique de Chicago, et est aussi artiste en résidence de l’Orchestre philharmonique de New York, artiste invitée à l’École Juilliard et artiste programmatrice du Festival de Dortmund.
La saison dernière, Hilary Hahn s’est produite comme soliste dans des concertos de Mozart, Mendelssohn, Sibelius, Brahms, Tchaïkovsky, Prokofiev, Korngold et Ginastera, ainsi que dans Fantaisie sur Carmen de Sarasate. Elle a aussi offert de nombreuses prestations plus intimes, dont trois récitals solos, des récitals avec Iveta Apkalna et Seth Parker Woods, et des concerts de musique de chambre à Dortmund et à Chicago.
Dès le début de sa carrière, Hilary Hahn a tout naturellement tissé des liens avec son public. Elle s’est engagée à faire des séances de signatures après chaque concert et conserve une collection d’œuvres reçues de ses admiratrices et admirateurs depuis 25 ans. Ses concerts « Amenez votre bébé » créent un environnement accueillant pour les parents de jeunes enfants souhaitant transmettre leur amour de la musique classique. Son initiative #100daysofpractice a transformé les répétitions en une célébration collective du perfectionnement artistique sur les réseaux sociaux, entraînant près d’un million de publications d’autres interprètes et élèves.
Artiste de studio prolifique, elle a vu ses albums parus sous étiquette Decca, Deutsche Grammophon et Sony se hisser au sommet du palmarès du Billboard; trois d’entre eux ont remporté un prix GRAMMY. Son plus récent disque, un enregistrement des Six sonates pour violon seul d’Ysaÿe, rend hommage à son héritage artistique. Lauréate de nombreux prix, elle a tout récemment été nommée artiste de l’année 2023 par Musical America, a prononcé le discours principal du Women in Classical Music Symposium et a reçu le prix Herbert von Karajan 2021 et le prix du Festival de musique originale Glasshütte, qu’elle a remis à l’organisme d’éducation musicale à but non lucratif Project 440.
Premier chef invité de l’Orchestre du Centre national des Arts et chef d'orchestre de l’Orchestre philharmonique de la BBC et de de l'Orchestre philharmonique de Turku, John Storgårds mène de front une carrière de chef d’orchestre et de violoniste virtuose, et est renommé pour ses programmes innovants et ses prestations à la fois fougueuses et raffinées. Il assure également depuis 25 ans la direction artistique de l’Orchestre de chambre de Laponie, renommé partout dans le monde pour ses prestations audacieuses et ses enregistrements primés.
Sur la scène internationale, Storgårds se produit régulièrement avec les orchestres philharmoniques de Berlin, de Munich et de Londres, l’Orchestre national de France et l’Orchestre symphonique de la radio de Vienne, de même que les principaux orchestres scandinaves, y compris l’Orchestre philharmonique d’Helsinki, dont il a été chef attitré de 2008 à 2015. Il retourne régulièrement diriger l’Orchestre de chambre de Munich où il a été partenaire artistique de 2016 à 2019. Sur les autres continents, il a été invité au podium des orchestres symphoniques de Sydney, de Melbourne, de la NHK à Tokyo et Yomiuri du Japon, ainsi que des orchestres symphoniques de Boston et de Chicago et de l’Orchestre philharmonique de New York.
La discographie primée du maestro comporte des enregistrements d’œuvres de Schumann, Mozart, Beethoven et Haydn, mais aussi des raretés de Holmboe et Vask, où on peut l’entendre comme soliste au violon. Avec l’Orchestre philharmonique de la BBC, il a gravé sous étiquette Chandos l’intégrale des symphonies de Nielsen (2015) et de Sibelius (2014), qui lui ont valu les éloges de la critique. En novembre 2019, il a publié le troisième et dernier volume des œuvres du compositeur américain d’avant-garde George Antheil. Leur dernier projet en date est l’enregistrement des symphonies tardives de Chostakovitch, notamment celui de la Symphonie no 11 paru en avril 2020. En 2023, Storgårds et l’Orchestre philharmonique de la BBC ont été en lice pour le titre d’orchestre de l’année décerné par le magazine Gramophone.
John Storgårds a étudié le violon auprès de Chaim Taub et la direction d’orchestre auprès de Jorma Panula et d’Eri Klas. Il a reçu le Prix de la musique de l’État finlandais en 2002 et le prix Pro Finlandia en 2012.
L’Orchestre du Centre national des Arts (CNA) du Canada est reconnu pour la passion et la clarté de son jeu, ses programmes d’apprentissage et de médiation culturelle visionnaires et son soutien indéfectible à la créativité canadienne. Situé à Ottawa, la capitale nationale, il est devenu depuis sa fondation en 1969 l’un des ensembles les plus encensés et les plus dynamiques du pays. Sous la gouverne du directeur musical Alexander Shelley, l’Orchestre du CNA reflète le tissu social et les valeurs du Canada, nouant des liens avec des communautés de tout le pays grâce à sa programmation inclusive, ses récits puissants et ses partenariats innovants.
Alexander Shelley a façonné la vision artistique de l’Orchestre depuis qu’il en a pris les rênes en 2015, poursuivant sur la lancée de son prédécesseur, Pinchas Zukerman, qui a dirigé l’ensemble pendant 16 saisons. Le maestro Shelley jouit par ailleurs d’une belle renommée qui s’étend bien au-delà des murs du CNA, étant également premier chef d’orchestre associé de l’Orchestre philharmonique royal au Royaume-Uni ainsi que directeur artistique et musical d’Artis—Naples et de l’Orchestre philharmonique de Naples aux États-Unis. Au CNA, Alexander Shelley est épaulé dans son rôle de leader par le premier chef invité John Storgårds et par le premier chef des concerts jeunesse Daniel Bartholomew-Poyser. En 2024, l’Orchestre a ouvert un nouveau chapitre avec la nomination d’Henry Kennedy au nouveau poste de chef d’orchestre en résidence.
Au fil des ans, l’Orchestre a noué de nombreux partenariats avec des artistes de renom comme James Ehnes, Angela Hewitt, Renée Fleming, Hilary Hahn, Jeremy Dutcher, Jan Lisiecki, Ray Chen et Yeol Eum Son, assoyant ainsi sa réputation d’incontournable pour les talents du monde entier. L’ensemble se distingue à l’échelle internationale par son approche accessible, inclusive et collaborative, misant sur le langage universel de la musique pour communiquer des émotions profondes et nous faire vivre des expériences communes qui nous rapprochent.
Depuis sa fondation en 1969, l’Orchestre du CNA fait la part belle aux tournées nationales et internationales. Il a joué dans toutes les provinces et tous les territoires du Canada et a reçu de nombreuses invitations pour se produire à l’étranger. Avec ces tournées, l’ensemble braque les projecteurs sur les artistes et les compositeurs et compositrices du Canada, faisant retentir leur musique sur les scènes de l’Amérique du Nord, du Royaume-Uni, de l’Europe et de l’Asie.
Alliance internationale des employés de scène et de théâtre