© Larry Towell
Zosha di castri
Compositrice
Dear Life est basé sur la nouvelle partiellement autobiographique du même nom d’Alice Munro, Prix Nobel de littérature. L’œuvre propose une musique de la compositrice canadienne primée Zosha Di Castri pour orchestre et soprano (Erin Wall), et une narration enregistrée par la légendaire actrice Martha Henry, qui offre une lecture à donner le frisson d’une adaptation habilement condensée du récit signée Merilyn Simonds. Les saisissantes photographies en noir et blanc de Larry Towell (Magnum Photos) sont entrecoupées d’images créatives projetées sur les écrans qui entourent l’orchestre et le plongent dans un environnement en 3D. La conception visuelle est l’œuvre du studio Normal de Montréal. (Cette œuvre a été créée le 16 septembre 2015.) Durée : 23 minutes.
La production de Dear Life est rendue possible en partie grâce à la générosité de Kenneth et Margaret Torrance et leurs amis.
Apprenez-en plus dans les notes de programme ›« L’orchestration évoque les sons du sud de l’Ontario, notamment la pluie, le vent, la neige et les oies blanches. La présence de la soprano Erin Wall fait contrepoint à la dissonance et met en valeur la narration préenregistrée du texte d’Alice Munro par Martha Henry. » Michael Vincent - Musical Toronto
À la fin de 2013, un ami du CNA m’a fait découvrir cet ouvrage (Dear Life par Alice Munro - vf. Rien que la vie) que j’ai lu avidement, fasciné par l’intelligence pénétrante et lumineuse de l’écriture, et par sa profondeur poétique. Arrivé à la dernière nouvelle portant le titre même de l’ouvrage, Dear Life, l’évocation d’un poème et de souvenirs d’enfance de l’auteure a fait surgir dans mon esprit un lien avec la Quatrième symphonie de Mahler, composition culminant par un poème qui expose une vision enfantine du paradis. Je m’étais toujours dit que j’amorcerais ma première saison avec une nouvelle oeuvre de commande canadienne, et voilà que j’avais trouvé ma source d’inspiration. L’oeuvre a pris depuis une forme et une portée extraordinaires avec le concours de Zosha Di Castri, Donna Feore, Merilyn Simonds, Martha Henry et Larry Towell.
J’ai été invitée à composer Dear Life (Rien que la vie) quelques jours à peine avant la naissance de mon premier enfant. Au mépris du bon sens qui clamait qu’entreprendre la composition d’une oeuvre orchestrale d’une telle envergure pendant mes premiers mois de maternité relevait de la folie, j’ai été subjuguée par ce projet.
Était‑ce le récit? Les mots de Munro ont résonné en moi : le portrait d’une relation mère‑fille tout au long d’une vie, une artiste trouvant sa voix, prenant conscience de son « altérité » mais également de l’universalité de l’expérience vécue. J’admirais la fluidité du texte de Munro, ses souvenirs moitié vagues – fictifs? autobiographiques? – tantôt ambigus, tantôt saisissants de transparence.
Aussi ai‑je tenté de raconter l’histoire à ma façon, par l’entremise de la musique, du son et de l’expérimentation. La voix de Martha Henry nous accompagne dans la narration du texte adapté. La soprano, quant à elle, manie des fragments de texte et des sons inventés, réaction viscérale comblant l’écart entre la dimension abstraite de la musique et la dimension concrète de la parole. Sa présence, musicale et dramaturgique, se précise puis s’évapore. Au départ, sa voix fusionne avec l’orchestre, mais peu à peu, elle émerge en tant qu’entité distincte à part entière.
L’orchestre oscille entre musique absolue (textures résolument abstraites, tantôt statiques, tantôt spasmodiques), et ce que j’appelle musique archétypique, celle qui provient de l’inconscient collectif : des mémoires musicales, des hymnes déformés par le temps, le son de volées d’oiseaux migrateurs, une mélodie fredonnée, le grésillement réorchestré de la friture des phonographes, symbole même de la nostalgie. Voilà d’où je tire mon inspiration pour créer divers espaces musicaux, allant du récit dans le récit (la fable de Netterfield) au poème de mirliton chanté vers la fin de l’oeuvre. Derrière la beauté bucolique de ces réminiscences se cache le frisson du danger, de la violence, du malheur, et pourtant au bout du compte, ce que nous en retirons est le pardon et l’acceptation. Il y a quelque chose de profondément humain dans cette histoire.
Alice Munro a écrit :
« Un récit n’est pas comme une route à suivre… c’est plutôt comme une maison. Vous y entrez et y passez quelque temps, errant d’une pièce à l’autre […]. Et vous, le visiteur, êtes aussi transformé par le fait d’être dans cet espace clos, qu’il soit spacieux et accommodant ou rempli de racoins biscornus, qu’il soit meublé avec parcimonie ou opulence. Vous pouvez y revenir encore et encore, et chaque fois la maison, le récit, contient plus que vous n’y avez vu la dernière fois. »1
J’ai l’espoir que c’est dans cet esprit que les auditeurs feront l’expérience de ma maison sonore.
1 Traduction libre de l’introduction de l’édition Vintage de Selected Stories, 1968-1994 (New York: Vintage Books, 1996).
Quand l’Orchestre du CNA m’a pressentie pour réaliser une adaptation pour une oeuvre symphonique du récit de « Dear Life » (Rien que la vie en vf.) d’Alice Munro, j’étais justement en train de lire, dans l’ordre, l’ensemble de ses nouvelles. Je devrais plutôt dire « relire », car depuis la lecture, à 18 ans, de Dance of the Happy Shades (La danse des ombres en vf.), j’avais toujours attendu impatiemment chaque nouvelle parution de l’auteure. J’ai grandi dans une petite localité située non loin de la ville natale d’Alice Munro, rêvant tout comme elle de fuir. Devenue écrivaine à mon tour, je l’ai connue personnellement. J’ai été inspirée par sa façon réaliste et sans détour d’embrasser l’univers où elle était née, un univers qu’elle a exploré pendant 50 ans à travers la littérature.
On m’a donné pour tâche d’extraire de son plus récent récit de plusieurs milliers de mots un distillat de tout juste 500 mots qui formerait la base d’une oeuvre symphonique et que livrerait Martha Henry sous forme d’enregistrement. Tous les mots sont d’Alice. Aucun n’est de moi; j’ai simplement modifié l’ordre de certains événements par souci de clarté.
J’ai voulu témoigner de la générosité d’Alice Munro qui, comme auteure, ouvre les bras au jeu créatif qu’entraîne une adaptation. Témoigner aussi de l’authenticité et de la pureté de sa prose qui a rendu possible un tel distillat et permis de recréer dans cette nouvelle version de « Dear Life » l’essence même de ses personnages et des thèmes qu’elle aborde.