Publié le 9 février 2024
Compositeurs.trices : Philip Glass, Nicole Lizée, Erich Wolfgang Korngold, Chostakovitch, YAO
Interprètes : Alexander Shelley, L’Orchestre du Centre national des Arts du Canada, James Ehnes, YAO
Genres: Contemporain, Symphonie, Violon, Musique orchestrale, Slam
La musique et les arts confrontent depuis longtemps les « faits alternatifs » (informations fabriquées) à la réalité, en déconstruisant la propagande politique et la rhétorique réductrice. Le dernier enregistrement de l’Orchestre du Centre national des Arts du Canada constitue un juste hommage au journaliste canado-américain Peter Jennings (présentateur de l’émission World News Tonight sur les ondes d’ABC pendant plus de trente ans, jusqu’en 2005, année de sa mort) et plonge au cœur du débat sur la valeur de la vérité et sur la manière dont les compositeurs et compositrices l’ont scrutée et affermie.
La vérité à l’ère moderne comprend le premier enregistrement de la Symphonie no 13 de Philip Glass, commandée par l’Orchestre du CNA (OCNA) et créée par l’OCNA et son directeur musical, Alexander Shelley, en 2022. Le nouvel album, sorti chez Orange Mountain Music le 9 février 2024, s’ouvre sur Zeiss After Dark de la compositrice canadienne Nicole Lizée. Son fascinant programme comprend également le Concerto pour violon d’Erich Wolfgang Korngold, avec James Ehnes comme soliste, la Symphonie no 9 de Chostakovitch et l’envoûtante pièce Strange Absurdity / Étrange absurdité de Yao, une étoile qui scintille au firmament de la musique francophone du Canada.
Peter Jennings a gagné la confiance de son public avec ses reportages impartiaux et honnêtes, qualités qu’il a héritées de son père, éminent journaliste radio de la CBC. Pour honorer son engagement envers la vérité, sa famille a soutenu l’Orchestre du CNA dans la commande à Philip Glass d’une nouvelle œuvre en sa mémoire. Sa Treizième symphonie, inspirée par la franchise des reportages de Jennings, explore le thème de la vérité à notre époque. Alexander Shelley a choisi d’associer la partition de Glass à la Neuvième symphonie de Chostakovitch, achevée quelques semaines après la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis condamnée par le régime de Staline pour sa « faiblesse idéologique » et considérée comme une réponse inadéquate à l’immense sacrifice consenti par le peuple soviétique lors de la Grande Guerre patriotique contre le nazisme.
Le programme, enregistré en direct à la Salle Southam, port d’attache de l’Orchestre à Ottawa, reflète la détermination du directeur musical Alexander Shelley à créer un contexte favorable à diverses compositions. « Bien que la musique puisse être purement abstraite, les compositeurs et compositrices, au cours de l’histoire, ont souvent écrit des œuvres dans un but précis. Que ce soit pour divertir un public, exprimer un point de vue plus profond ou nous raconter une histoire. »
Présenter un concert sur le thème de la vérité à l’ère moderne est né de longs échanges que nous avons eus au Centre national des Arts sur les multiples facettes de notre rôle en tant qu’orchestre – des échanges que nous essayons de rafraîchir aussi souvent que possible. L’une de ces discussions portait sur l’art comme l’un des piliers de la vérité dans la société, ou comme un moyen de tendre un miroir devant l’époque dans laquelle nous vivons. La question de la vérité est l’une des plus pressantes aujourd’hui, en particulier avec l’avènement de l’intelligence artificielle, et cet album examine la manière dont les artistes y ont répondu à différentes époques. – Alexander Shelley
Philip Glass, dont les œuvres explorent fréquemment des questions sociales et environnementales, et qui admire Peter Jennings, figurait en tête de liste pour une commande de l’Orchestre du CNA.
Philip Glass, Alexander Shelley, et les musiciens de l'Orchestre du CNA à Carnegie Hall © Dominick Mastrangelo
« Il s’est emparé de l’idée et a dit qu’il aimerait que ce soit sa prochaine symphonie », se souvient Alexander Shelley. « C’était une œuvre idéale pour notre retour au Carnegie Hall, après une longue absence. Nous avons décidé de l’associer à des œuvres écrites au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui montraient comment la distorsion et l’obscurcissement de la vérité à l’époque avaient affecté les compositeurs et compositrices. Nous nous sommes rendus au Carnegie Hall juste après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce qui a soulevé d’autres questions sur la guerre et sur la vérité objective. »
« Quand on songe à une personnalité comme Peter Jennings, Canadien de naissance, immigrant, journaliste, Américain par choix, plutôt que de proclamer “voici la vérité”, un compositeur se trouve en terrain plus solide s’il s’exprime simplement sur “la musique que j’écoute, la musique que j’aime, et la musique que j’écris », explique Philip Glass à propos de sa Symphonie no 13.
La vérité à l’ère moderne cherche à poursuivre ces échanges en encourageant le public à réfléchir au thème principal de l’album. Alexander Shelley cite le cas de Korngold, dont le Concerto pour violon marquait un retour à la musique « pure », après une longue série de trames sonores originales hollywoodiennes couronnées de succès. Le compositeur autrichien, qui avait trouvé refuge en Californie après l’annexion de l’Autriche par Hitler en 1938, a souligné la défaite des nazis en 1945 en apportant des révisions substantielles à la partition du Concerto pour violon qu’il avait composé huit ans plus tôt. « Korngold s’est abstenu d’écrire de la musique concertante pendant que les nazis étaient au pouvoir », précise Shelley. « Ce concerto était sa réaction joyeuse à leur défaite, et la célébration, si l’on peut dire, du fait que le mensonge était renversé, permettant à la vérité de renaître. »
« Chostakovitch », ajoute-t-il, « a subtilement miné les mensonges et le cynisme du régime de Staline avec sa Neuvième symphonie, également écrite en 1945. Cette partition légère, parfois introspective, souvent ironique, était tout sauf l’œuvre triomphale attendue par les autorités au lendemain de la victoire sur les nazis. »
James Ehnes a réalisé son premier enregistrement studio du Concerto pour violon de Korngold en 2006. Il a confié que ce fut pour lui un « plaisir inattendu » de réenregistrer cette œuvre. « Je considère cette relation avec Alexander Shelley et l’Orchestre du CNA comme l’une des plus importantes et des plus enrichissantes de ma carrière », confie-t-il. « Depuis de nombreuses années, il était question d’enregistrer ensemble, mais un enregistrement n’a jamais été planifié. C’est plutôt un heureux hasard qui a permis d’avoir des microphones en place pour l’enregistrement de la symphonie de Philip Glass et de capter, presque par coïncidence, la fébrilité et l’énergie d’une soirée très spéciale. L’Orchestre et moi partageons une longue histoire avec le concerto de Korngold, puisque nous l’avons joué lors de deux tournées distinctes. »
Le concert que vous entendez sur cet enregistrement est l’aboutissement d’années de collaboration et un témoignage du lien unique qui nous unit, Alexander, l’Orchestre et moi. Je suis vraiment ravi d’avoir un souvenir de cette expérience si spéciale. – James Ehnes
La compositrice canadienne Nicole Lizée, née en 1973 en Saskatchewan, condense une foule d’idées dans la brève durée de Zeiss After Dark. L’œuvre, commandée conjointement par l’Orchestre du CNA et l’Orchestre symphonique de Toronto dans le cadre des célébrations du cent cinquantenaire du Canada (2017), est construite à partir de multiples couches de sons de percussions, de vents et de cuivres qui entrent et sortent du cadre comme une image vue à travers l’objectif d’un vieil appareil photo Zeiss. La pièce s’inspire directement de la cinématographie d’une célèbre scène du film Barry Lyndon de Stanley Kubrick, éclairée uniquement à la lueur de quelques bougies et filmée avec une chaleur intime à l’aide d’un objectif Zeiss spécial à faible luminosité.
« Nicole est l’une des compositrices les plus brillantes de notre époque », commente Alexander Shelley. « Sa musique prend racine dans le monde des machines, des enregistrements, des CD, des entités analogiques et numériques qui se coincent et s’éraflent. Zeiss After Dark traite de la manière dont la musique peut traduire la lumière vacillante et l’atmosphère d’une scène de film, image sonore et réelle d’une lentille Zeiss. »
La pièce Strange Absurdity / Étrange absurdité, écrite et interprétée par l’auteur-compositeur-interprète et slameur Yao, est une incantation intensément émouvante qui confronte le racisme et la culture des médias en faisant référence à Billie Holiday et George Floyd.
(Yao interprétant la pièce Strange Absurdity / Étrange absurdité © Curtis Perry)