Publié le 3 décembre 2021
Compositeurs.trices : Clara Schumann, Robert Schumann, Johannes Brahms
Interprètes : Alexander Shelley, L’Orchestre du Centre national des Arts, Liz Upchurch, Adrianne Pieczonka
Époque : Romantique
Nomination : Meilleur album classique — Prix JUNOS
“Prises à bras-le-corps, les finales des deux symphonies sont de véritables fêtes où brillent les musiciens du CNA. Chantés par la soprano Adrianne Pieczonka (avec Liz Upchurch au piano), les magnifiques lieder de Clara Schumann bénéficient d’une diction claire et d’un engagement émotionnel palpable de la chanteuse canadienne.” — ★ ★ ★ ★ La Presse
Voici le deuxième de quatre albums constituant un cycle d’enregistrement qui explore les relations étroites à la fois artistiques et personnelles entre trois géants de la musique : Clara Schumann, Robert Schumann et Johannes Brahms. Le cycle, qui comprend de véritables joyaux, met en relation les symphonies de Robert Schumann et celles de Johannes Brahms, ainsi que les œuvres de musique de chambre et musique orchestrale de Clara Schumann.
J’ai toujours adoré ces symphonies, qui ont beaucoup en commun. Je rêvais depuis toujours d’enregistrer ensemble les œuvres de Brahms et de Schumann. Bien sûr, ce projet ne serait pas complet sans Clara Schumann, qui a beaucoup influencé Brahms et son mari, et qui était, durant sa vie, aussi connue que ce dernier. En combinant les symphonies de ces deux compositeurs avec les œuvres de Clara, nous avons voulu, avec l’aide de la spécialiste de Clara Schumann Julie Pedneault-Deslauriers, créer une trame narrative captivante permettant de mieux comprendre les liens étroits entre la vie et l’œuvre de ces trois grands noms de l’époque romantique.
— ALEXANDER SHELLEY
Les liens qui existent entre Johannes Brahms, Robert Schumann et Clara Schumann remontent à très loin et sont aussi profonds qu’historiques. C’est Robert qui découvre le jeune Brahms, alors âgé de 20 ans, et qui le proclame l’héritier de Beethoven. Et lorsque Robert Schumann entre dans un asile dont il ne sortira jamais après avoir commis une tentative de suicide, c’est Brahms qui s’installe dans la maison des Schumann pour consoler Clara, dont il tombe éperdument amoureux. L’évolution de ces circonstances houleuses dans les années qui suivent — car Brahms, marqué à vie par la prophétie de Robert, décide finalement de s’éloigner de Clara, qui restera pourtant l’amour de sa vie — est l’une des histoires les plus captivantes et les plus importantes du monde de la musique du XIXe siècle.
Robert Schumann est d’abord un miniaturiste composant de la musique pour piano et des mélodies infusées d’une imagination et d’une originalité singulières. Lorsqu’il se tourne vers des œuvres de plus grande envergure, comme les symphonies, le compositeurs — à l’instar de son protégé, Brahms — est sous l’impression insoutenable d’empiéter sur le terrain de Beethoven. Il s’attèle alors à trouver une voix symphonique qui ne tend pas vers la monumentalité beethovénienne, mais plutôt verse une musique intime, vigoureuse et souvent festive. En même temps, sa vie adulte est marquée par une grave maniacodépression, rythmée par des hauts d’une ardente créativité et des bas dévastateurs.
Tout cela transparaît dans la Symphonie n° 2, op. 61. Schumann la compose d’abord en moins d’une semaine, en décembre 1845, dans la foulée de l’un de ses épisodes psychotiques. Après des mois de travail sur l’orchestration, elle est présentée pour la première est un échec, mais la symphonie reçoit un meilleur accueil à sa deuxième représentation, après que Schumann a poli l’orchestration.
La voix symphonique de Schumann, fraîche et innovante, apparaît alors. La Symphonie n° 2 commence sur un doux appel des trompettes qui deviendra un leitmotiv au fil de la pièce. Schumann est l’un des pionniers de ce qu’on appellera plus tard des œuvres de forme cyclique, dans lesquelles des thèmes réapparaissent dans les différents mouvements. Le leitmotiv des trompettes n’est d’ailleurs que l’un de ces thèmes, car plusieurs idées lient les mouvements, dont de nombreux échos au chromatisme des cordes qui vagabondent derrière l’appel des trompettes. Cette ouverture lente se termine en un allegro d’une intensité frénétique, marqué par l’effervescence d’un rythme pointé.
S’ensuit un scherzo trépidant de deux trios opposés, le deuxième étant une portion de tranquillité lyrique au milieu d’une autre course endiablée. Le mouvement lent fait la splendeur de la symphonie et est l’un des joyaux de la musique orchestrale romantique : un mouvement qui éclot au ralenti, empreint d’intimité et de la musicalité, et qui s’élève vers des sommets époustouflants avec les trilles aigus des cordes. La symphonie s’achève sur une majestueuse portion de gaieté, qui balaie tout le tumulte des mouvement précédents. À la fin, on assiste au retour triomphal du leitmotiv des trompettes.
Pour s’affranchir de la figure palpable de Beethoven, Brahms passes plus de quinze ans à travailler sur sa Symphonie n° 1 dans une anxiété profondément enracinée. Œuvre impressionnante et importante, la Symphonie n° 1 reçoit au départ un accueil mitigé, pour finalement presque redonner vie à la tradition symphonique stagnante de l’époque. Libéré de ses plus grandes peurs, Brahms achève l’entièreté de la Symphonie n° 2, op. 73 à l’été 1877. Pour trouver l’inspiration pour la musique qu’il souhaite composer, il choisit souvent son décor. Pour cette œuvre, il se rend dans la charmante commune de Pörtschach, où il estime que « les mélodies jonchent les lieux, si bien qu’il faut faire attention à ne pas marcher dessus ».
La Symphonie n° 2 commence sur un thème gracieux rappelant une valse (l’ouverture en basse chiffrée à trois notes est le bourgeon de toute la symphonie) qui présage une fin pastorale ensoleillée. Pourtant, cette chaleur cache quelque chose, qui apparaît d’abord comme un nuage noir évoqué par le son menaçant des trombones. La beauté idyllique de l’ouverture est d’autant plus détraquée par une section de développement nerveuse au rythme irrégulier. Un auteur a d’ailleurs qualifié très justement le thème central de la Symphonie n° 2 d’« idylle perdue ».
La beauté, la joie, la perte, le regret : ce sont les forces qui s’opposent dans cette œuvre. Cette impression typiquement brahmsienne d’un passé à jamais hors d’atteinte est mise en avant dans le long et charmant deuxième mouvement, qui s’ouvre sur un thème de violoncelle bouleversant d’émotion. Le vague à l’âme de l’œuvre s’estompe avec le troisième mouvement, chantant et gracieux. Arrive alors une finale majestueusement lyrique et vibrante de plaisir. L’œuvre se termine avec les trombones, ces messagers de chagrin dans le premier mouvement, qui entonnent un remarquable ré majeur proclamant, du moins pour le moment, la victoire de la joie.
— TRADUIT D’APRÈS JAN SWAFFORD
Ces 12 lieder de Clara Schumann (28 au total sont parvenus jusqu’à nous) abordent les thèmes de l’amour, de la nature et de la nuit — ces mêmes thèmes évoqués par Robert et Johannes dans leurs deuxièmes symphonies (Robert citant le An die ferne Geliebte de Beethoven et Johannes, ses propres lieder Es liebt sich so lieblich et Wiegenlied). S’y déploie la riche palette de Clara, caractérisée par un ample lyrisme, un dialogue piano-voix intime, et l’intensification de subtiles nuances poétiques.
Ainsi, Er ist gekommen (1841) nous laisse entendre Clara la virtuose, impétueuse et éloquente alors que le piano évoque les sentiments tumultueux de la narratrice pour son bien-aimé. Tout aussi expressif mais plus resserré, Sie liebten sich beide (1842) exprime le dépérissement de deux êtres qui ne s’avouent jamais leur amour : la partie centrale mène à une halte quasi complète, comme si le cœur même de la musique cessait de battre.
D’autres lieder dépeignent ces scènes nocturnes si chères à l’imagination romantique. Die gute Nacht (1841) évoque ce pouvoir qu’a la musique de traverser le temps et l’espace, tandis que le chromatisme et la forme ouverte de Die stille Lotosblume (1843) reflètent la sérénade d’un cygne auquel demeure sourde une fleur de lotus.
Ensemble, les lieder sur cet album témoignent de l’art consommé de Clara Schumann à unir piano, voix et poésie.
— TRADUIT D’APRÈS JULIE PEDNEAULT-DESLAURIERS
Comment se peut-il qu’en plus de 30 ans de carrière, je n’aie jamais chanté un lied de Clara Schumann ? Imaginez mon enchantement quand Alexander Shelley m’a invité a collaborer avec Liz Upchurch sur ce projet avec l’Orchestre du CNA. J’étais enthousiasmée à l’idée de me plonger dans les lieder de Clara, et ce projet m’a fourni un merveilleux point d’ancrage durant la pandémie.
Je suis immédiatement tombée amoureuse de ces chansons, que j’ai d’ailleurs l’intention de continuer à interpréter dans des récitals. Cet album servira peut-être à présenter à certains auditeurs la façon poétique et élégante dont Clara met en musique les vers d’Heine, Rückert et Burns.
Clara était connue surtout comme une pianiste de concert ; enfant prodige, elle s’est produite partout en Europe dès son jeune âge, impressionnant Liszt, Chopin et Paganini par ses prestations époustouflantes. Son mariage avec Robert Schumann change la donne : ses responsabilités familiales l’empêchent de jouer ou de composer aussi librement. Robert écrit d’ailleurs dans son journal :
« Clara a composé une série de courtes pièces, qui montrent, une adresse et une sensibilité musicale qu’elle n’avait jamais atteintes auparavant. Mais le fait d’avoir des enfants, et un mari qui a élu domicile dans le pays de l’imaginaire, ne font pas bon ménage avec la composition. Elle ne peut y travailler régulièrement, et je suis souvent contrarié quand je songe à toutes ces idées profondes qui sont perdues, car elle ne peut se pencher dessus. »
Malgré ces obstacles, Clara trouve le temps de composer plusieurs œuvres pour piano et plusieurs mélodies. J’ai parfois l’impression que certains de ces lieder ont été écrits à la hâte, peut-être durant l’heure de la sieste ou au petit matin, quand la maisonnée dort encore. Beaucoup de ses plus courts lieder ont une touche de tendresse et de fémininité, mais certains on également plus de maestria, faits d’accompagnements orageux et de postludes complexes.
Les lieder de Clara sont essentiellement tombés dans l’oubli après sa mort. Toutefois, l’ensemble de ses œuvres a commencé à ressurgir dans les années 1970, une tendance qui n’ai heureusement pas discontinué depuis. Clara Schumann a figuré sur les billets de 100 marks allemands de 1989 à 2002, année d’instauration de l’Euro. Au revers du billet, on trouve une image de son piano à queue bien aimé.
— TRADUIT D’APRÈS ADRIANNE PIECZONKA